LIBERTÉS RELIGIEUSES- "Les chrétiens du Maroc ignorent-ils pourquoi "Daech" a été fondé". Tel est l’intitulé choc du
billet écrit par le directeur de publication d’
Al Ousboue, Mustapha Alaoui, et publié le 6 mai dernier, qui attise la colère des chrétiens du Maroc. Leur coordination vient de réagir dans un communiqué dans lequel elle demande au journal et à son directeur de publication des excuses. "Nous dénonçons de toutes nos forces les propos contenus dans l’écrit de Mustapha Alaoui. Nous lui avons envoyé une lettre, ce week-end, via l’adresse e-mail du journal. Mais nous n’avons reçu aucune réponse", déclare au
HuffPost Maroc le coordinateur des chrétiens du Maroc, Mustapha Soussi.
La goutte d'eau qui fait déborder le vase
Si la demande de cette coordination ne suscite pas la réaction escomptée, elle n’hésitera pas à recourir à la justice. "Nous porterons plainte, si nous n’obtenons pas des excuses. Les propos de Mustapha Alaoui relèvent, pour nous, de l’incitation au terrorisme", tranche le coordinateur.
Après avoir décidé de sortir de l’ombre, les chrétiens du Maroc craignent, à présent, de faire l’objet d’une chasse aux sorcières. Ils ont déposé auprès du chef de gouvernement un mémorandum dans lequel ils revendiquent "leurs droits légitimes". "Que le journaliste Mustapha Alaoui écrive dans son article que "Daech" a été créé pour ceux-là, les chrétiens du Maroc, et que ces derniers doivent être tués et enterrés aux alentours des cimetières chrétiens du Maroc, c’est très grave et indigne d’un journal qui se veut national et indépendant", fustige la coordination dans son communiqué.
Pas d’excuses en vue
Suite à ce communiqué, le
HuffPost Maroc a pris contact avec le journal pour connaitre sa position, mais ce dernier n’a pas donné suite. Toutefois, nous avons appris que le directeur de publication ne compte pas présenter des excuses aux chrétiens du Maroc. "Mustapha Alaoui ne s’excusera pas, parce qu’il est convaincu du bien fondé de sa position", déclare au
HuffPost Maroc, le politologue Mustapha Sehimi. Ce dernier, qui avait publié il y a quelques semaines, sur le journal
Akhbar Al Yaoum, une analyse dans laquelle il décortique la situation actuelle des chrétiens du Maroc, explique que son collègue Mustapha Alaoui a écrit son article pour y réagir. Les deux hommes ne partagent pas la même vision de la situation. "J’ai eu Mustapha Alaoui au téléphone à ce propos. Il est convaincu par sa position qui peut être qualifiée d’excessive. Mais il est en droit de le faire, comme c’est le droit des chrétiens du Maroc de la réfuter", estime-t-il.
Le fond du problème: la conversion
Pour Mustapha Sehimi, l’important est d’instaurer un vrai débat sur le sujet du statut des nouveaux chrétiens du Maroc. "Le statut des Marocains chrétiens de souche ne pose pas problème, puisque le Maroc reconnait la liberté de culte à travers la constitution et le souverain en est garant. Par contre, les Marocains musulmans qui décident de se convertir au christianisme ne sont plus légalement musulmans. Et c’est là où réside le problème", souligne Mustapha Sehimi.
Entre 5.000 et 6.000 Marocains se sont convertis au christianisme, mais leur choix religieux n’est pas reconnu. Ils se retrouvent ainsi face à de nombreux problèmes, dont l’héritage et la garde d’enfants en cas de divorce. "Il faut donc adapter leur ancien statut de Marocain musulman à leur nouvelle situation de Marocain non musulman", explique M. Sehimi. Et de légitimer l’urgence d’ouvrir un débat national sur le sujet. "Ce débat est primordial. Il devrait être pris en charge, d’abord par l’ensemble de la société. Ensuite, pour sa déclinaison, il faut qu’il soit nourri par le tissu associatif et par les partis politiques, et qu’il donne lieu à une délibération nationale au sein du parlement", recommande le politologue.
Entre apostasie et prosélytisme
Mais pour arriver à instaurer ce débat, il faudra préparer le terrain. Car si la loi est claire, elle ne semble pas l’être vraiment dans les mentalités. Mustapha Sehimi souligne ainsi que la loi marocaine ne condamne pas l’apostasie, contrairement à ce que l’on croit. "Le code pénal marocain ne condamne pas l’apostasie mais le prosélytisme comme instrument visant à "ébranler la foi" (...) Si le problème du statut peut être réglé, la société, elle, n'est pas prête d’accepter la conversion", tient à préciser le politologue.
Et d’ajouter que la société s’est "un peu crispée du fait de l’équation identitaire qui se pose en occident". Pour M. Sehimi, "c’est l’occident qui amène les sociétés musulmanes à être rigides (…) Le phénomène de l’islamophobie a fini par créer l’islamophilie combattante et militante".
Embarras politico-religieux
Si la société n’est pas prête, les institutions qui la représentent ne le sont pas non plus. Mustapha Sehimi cite, en exemple, une fatwa qui avait été émise autour de la question en 2016 par le conseil supérieur des Oulémas, mais dont "la diffusion a été très contrôlée". "À ce sujet, en novembre 2016, le ministre des Affaires islamiques et des Habous, en réponse à une question orale au parlement, a expliqué que ce n’était pas une fatwa émanant du conseil supérieur des Oulémas, mais l’avis de 6 membres de ce conseil", souligne M. Sehimi. Et de préciser que "contrairement à un simple avis, la fatwa représente un décret d’interprétation normative qui s’applique dans le droit marocain".
Pour le politologue, la liberté de conscience n’arrive pas à se frayer un chemin au Maroc. "Dans l’avant dernier projet de la constitution 2011, le PJD a menacé de voter contre le texte si cette liberté y est reconnue", dit-il.
Face aux engagements multiples qu’entretient le Maroc avec ses partenaires étrangers, les organisations mondiales, dont les Nations unies, c’est une impasse qui s’annonce. "On se retrouve coincés dans une situation où, d’un côté, nous avons les engagements du Maroc vis-à-vis de l’universalité des droits et, d’un autre côté, la société qui ne suit pas", constate-t-il.
Toutefois, en janvier 2016 à Marrakech s’est tenue une
conférence internationale sur les minorités religieuses. L'événement avait plaidé pour l’adoption de leurs droits. Un pas positif, selon le politologue pour qui la tenue de cet événement au Maroc "ouvre des pistes pour la protection du statut des convertis".
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